S.H.A.G.A. - ?tudier sur le terrain
CHAPITRE 1
Un mauvais coup
- Tr?s bien, Alexandre! Prochaine question, que signifie S.H.A.G.A.?
- Trop facile, c'?tait...
Je fermai les yeux pour mieux me concentrer
- Syndrome Humain d'Alt?ration G?n?tique Acquis...
- FAUX!
- Comment, faux?
- Acquis, c'est pour le Sida! Le SHAGA, c'est artificiel.
D?courag?, je laissai retomber ma t?te sur mon bureau.
- Je n'y arriverai jamais! L'examen est demain et je n'arrive m?me pas ?
me rappeler d'une des questions les plus faciles.
C'?tait faux et je le savais parfaitement. Cependant, quand je faisais
semblant d'?tre un idiot, Julie, cette jolie blonde que j'avais r?ussi ?
convaincre de me donner des cours particuliers avait l'agr?able habitude
de tenter de me remonter le moral. Cette fois ne fit pas exception.
Elle se rapprocha de moi et me caressa le dos tranquillement.
- Mais non. Tu n'as qu'? te rappeler que c'est le premier virus
artificiel cr?? par l'homme!
? entendre ces mots, je souris int?rieurement. C'?tait compl?tement
faux. Le virus en question ?tait soup?onn? d'?tre le premier virus cr??
par l'homme, mais nous n'avions aucune preuve. Personne n'avait
revendiqu? sa cr?ation et aucune ?tude n'a permis de prouver hors de
tout doute qu'il avait ?t? modifi? artificiellement. Le mot
artificielle faisait r?f?rence au fait que l'alt?ration g?n?tique du
patient n'?tait pas un changement naturel, mais qu'il ?tait bien caus?
par un facteur ext?rieur.
- De toute fa?on, tu crois toujours que tu vas couler tes examens, mais
tu finis toujours avec un A!
Elle me sourit timidement.
- On dirait presque que tu fais semblant d'?tre un idiot!
- Moi? Jamais de la vie!
Elle se rapprocha lentement de moi...
- Dommage, je commen?ais ? me faire des id?es!
Je me rapprochai ? mon tour.
- Bien, l'un n'emp?che pas l'autre!
J'avais enfin r?ussi! J'allais enfin me la faire! Elle se rapprochait
de moi. Ses l?vres ?taient tendues vers les miennes. Ses yeux se
referm?rent et, apr?s une seconde d'h?sitation, son cellulaire sonna.
Alors qu'elle r?pondait, je d?tournai le regard, tentant de ne pas avoir
l'air trop d?courag?. C'?tait le comble de la malchance. J'?tais sur
ce cas depuis le d?but de la session et au moment o? j'allais conclure,
voil? que tout tombe ? l'eau ? cause d'un putain de coup de fil! En
plus, l'air grave qu'elle avait adopt? me montrait bien qu'elle devrait
partir d?s qu'elle aurait raccroch?. Je m'imaginais en train de
d?truire son cellulaire ? grand coup de marteau simplement pour me
d?fouler un peu quand, enfin, elle se d?cida ? raccrocher. Je tentai
une approche, mais elle se d?tourna.
- D?sol?e, je dois partir...
- Rien de grave?
- Non, juste mon p?re qui... Enfin bon, tu sais ce que c'est! ?a va
aller pour ton examen?
- J'imagine!
- Si jamais tu ne t'en sors pas, ?cris-moi sur Facebook!
Sans plus de formalit?, elle sortit de mon appartement sans m?me se
retourner.
Le silence soudain r?sonnait ? mes oreilles comme un rappel de mon
?chec. Dire que j'?tais si pr?s du but... Enfin bon, maintenant que
j'?tais seul, je n'allais pas perdre mon temps ? ?tudier pour un examen
ridicule. D'autant plus que la biologie ?tait ma mati?re forte.
C'?tait une passion que je m'?tais d?couvert ? la fin de mes ?tudes
secondaires. Jusqu'alors je m'?tais surtout concentr? sur le sport et
les filles, mais, quand j'ai remarqu? avec quelle facilit? je passais
mes cours de biologie, j'ai d?cid? de me diriger vers les sciences
nature au C?GEP. Qui sait, je pourrais peut-?tre faire m?decine apr?s
coup.
Toujours est-il que cet examen en particulier portait sur les virus,
plus particuli?rement sur le SHAGA qui avait fait beaucoup parler les
scientifiques peu de temps auparavant. Le fameux Syndrome Humain
d'Alt?ration G?n?tique Artificiel s'attaquait directement ? l'ADN de ses
victimes, transformant leur apparence et la fa?on dont leur corps
fonctionne. Sans entrer dans les d?tails ennuyeux, certaine souches
exotiques avaient l'?trange et unique capacit? ? d?coder les pens?es
d'un patient atteint et ? les encoder directement dans son g?nome.
Ainsi, en admettant qu'une personne infect?e sautait en parachute et se
trouvait ? ?tre traumatis? par cette exp?rience, le choc pouvait suffire
? lui faire pousser des ailes.
Ce genre de cas extr?mes ?tait plus rare. G?n?ralement, le virus se
contentait de tripatouiller au hasard l'ADN de tout le monde. Une
personne pouvait ainsi attraper la trisomie 21 comme on attrapait
normalement un rhume ou pire encore, devenir subitement roux.
Plus souvent qu'autrement, une personne infect?e se retrouvait avec des
attributs en provenance de la personne qui lui avait transmis le virus.
Tout ?a semble bien dramatique, mais il faut tout de m?me relativiser :
d?j?, ? l'?poque o? j'?tudiais au C?GEP, le traitement ?tait disponible
et les cas de mutation ?taient devenus somme toute assez rare (1
personne sur deux mille environ).
Toujours est-il que la seule chose qui m'importait ? cet instant,
c'?tait d'aller passer ma frustration au gym. Apr?s tout, je venais de
passer les trois premi?res semaines de ma session ? faire semblant
d'?tudier et j'avais de besoins de changer d'air.
Heureusement pour moi, mon statut d'?tudiant me donnait acc?s aux
installations du C?GEP. Ce n'?tait rien d'exceptionnel: une simple
piste de course entourant des appareils dans un ?tat ? peine acceptable,
mais c'?tait gratuit.
Gr?ce ? ma condition physique, j'ai pu me trouver une place comme commis
d'entrep?t chez Brault et Martineau. Situ? ? deux minutes de voiture de
chez moi et du C?GEP, c'?tait l'id?al pour moi.
Le matin pr?c?dent mon examen, je devais vider une r?cente livraison de
literie pour enfants. Une de ces promotions ridicules qui promettait
aux acheteurs d'obtenir une couverture gratuite ? l'achat d'un ensemble
de chambre ? coucher. Bien que le prix de la couverture soit simplement
ajout? au prix du matelas, nous arrivions tout de m?me ? gagner quelques
ventes. Comme quoi il ne faut jamais sous-estimer la stupidit? de la
masse.
Je dois avouer que de vider un dix tonne n'?tait pas ma t?che favorite.
En r?alit?, mes l?g?res tendances claustrophobes rendaient cette tache
particuli?rement d?sagr?able pour moi. Surtout depuis que certains de
mes coll?gues s'en ?taient rendu compte. Plusieurs fois, ils ont tent?
de m'enfermer dans les camions de livraison pour voir comment je
r?agirais.
?videmment, chaque fois, je paniquais et leurs rires narquois ne
faisaient qu'empirer la situation. Jean-Fran?ois, un petit maigrichon
au visage mal ras? ?tait particuli?rement port? sur ce genre de
plaisanteries douteuses.
Bien qu'il me soit impossible d'en avoir le c?ur net, j'ai l'intime
conviction que c'est lui qui, ce matin-l?, m'a jou? ce sal tour.
J'?tais sur le point de prendre la derni?re bo?te de la livraison quand
j'entendis un grincement m?tallique. Je n'ai m?me pas eu le temps de me
retourner que je me suis retrouv? dans l'ombre opaque de la semi-
remorque.
Tentant d'atteindre la porte avant qu'elle ne se referme compl?tement,
je tr?buchai et me retrouvai face contre terre. Le verrou cliqueta,
j'?tais coinc?. De l'autre c?t?, j'entendis un rire ?touff? et des pas
de course s'?loigner.
Je respirais par saccade. Incapable de me ressaisir, je restai l?,
allong? sur le sol rouill?. J'ignore combien de temps il me fallut pour
reprendre mes esprits. Toujours est-il que d?s que je r?ussis ?
regagner le contr?le de mes jambes, je sortis mon cellulaire pour
appeler de l'aide. C'?tait en vain. Aucun signal n'arrivait ? p?n?trer
la coque m?tallique dans laquelle j'?tais enferm?.
Je pris une profonde respiration pour tenter de me ma?triser. Utilisant
l'?cran de mon IPhone en guise de lampe-torche, je regardai autours de
moi. J'avais l'impression que les murs se rapprochaient de moi. Je
tentai alors de me concentrer sur autre chose. Je remarquai alors qu'en
tombant, j'avais ?ventr? la bo?te que je transportais, exposant du m?me
coup les draps ? l'effigie d'une sorte de cheval mauve. Essayant de ne
pas penser ? ma claustrophobie, je m'assis devant la bo?te et en sortis
un emballage. Il s'agissait d'un ensemble de literie pour fillettes ?
l'effigie de My Little Pony.
"Ils n'auraient pas pu offrir un PSP comme promotion" lan?ais-je ? mi-
voix avant de retourner mon attention vers mon cellulaire. Il ?tait
d?j? treize heure trente. J'?tais en train de manquer mon examen.
Je sentis la panique monter en moi. Je me jetai vers la porte de la
remorque en criant ? plein poumon pour qu'on vienne m'aider. Je
continuai ainsi jusqu'? ce que ma voix se d?chire de douleur et que mes
points ne peignent la porte de mon sang.
Je donnai un ultime coup de pied dans la porte avant de me laisser
retomber. Je sentais mes yeux se remplir de larme. J'essayai de me
ressaisir en me disant que mon examen n'?tait pas si important qu'il ne
comptait que pour dix pourcent de la note et que, compte tenu de la
situation, j'aurais probablement droit ? une reprise, mais j'?tais
incapable d'arr?ter de pleurer. J'en ?tais m?me ? luter int?rieurement
pour ne pas d?chirer un des emballage de literies pour me vautrer dans
une couverture bien chaude pour obtenir un peu de r?confort. Il faut
dire qu'une remorque n'est pas particuli?rement bien isol?e et que les
temp?ratures estivales commen?aient ? se lasser de r?chauffer
l'atmosph?re.
Tremblant et sanglotant, je me relevai, ouvrit un emballage et mis une
couverture sur mes ?paules avant de me laisser tomber au fond de la
remorque. Je pris une profonde respiration pour tenter de contr?ler ma
claustrophobie et fermai les yeux. J'essayais de m'imaginer ailleurs,
quelque part ? la campagne, dans un petit village perdu au fond d'une
vall?e. Je sentais presque le vent sur ma peau, les oiseaux qui
chataient autours de moi, un cheval qui passe entre deux nuages, un
poisson qui me caresse la joue avant de me dire de me r?veiller.
- Alex! ALEX, r?veilles-toi merde!
J'ouvris enfin les yeux pour voir Robert, mon superviseur, pench? sur
moi avec quelques-uns de mes coll?gues pouffant de rire derri?re lui.
- Bon, enfin!
Il se retourna vers les autres idiots.
- Non mais fermez vos gueules! Si je pogne celui qui a fait ?a, il perd
sa job! Est-ce que je suis clair?
Il me lan?a un regard paternel et r?confortant
- Dis-moi que ?a ne fait pas depuis ce matin que tu es enferm? ici!?
Encore ? moiti? endormi, je hochai la t?te, presqu'honteux.
- En plus tu avais un examen, je pense!
J'hochai encore la t?te, la gorge trop douloureuse pour dire quoi que ce
soit.
- ?coutes, prends ta journ?e demain et si ton prof ne veut pas te faire
reprendre ton examen, dis-lui de m'appeler.
Je me levai, tout tremblotant et me dirigeai vers la sortie de
l'entrep?t. Juste avant d'atteindre la porte, quelqu'un m'interpela.
Je me retournai et vit Jean-Fran?ois, l'air radieux.
- Tu oublies ta couverture, me lan?a-t-il.
Puis il je re?us un ensemble de draps en pleine figure. Trop surpris
pour r?torquer, je ramassai le tissu color? et repartis chez moi o? je
ramassai mes v?tements de sport et repartis pour me d?foncer au centre
sportif du C?GEP. J'avais rat? mon examen d'?volution et diversit? du
vivant ainsi que mon cours d'?ducation physique, mais rien ne
m'emp?chait de br?ler quelques calories, histoire d'?vacuer mon surplus
de stress.
Une fois arriv? au gym, je commen?ai par mon habituelle course ? pied.
Aussit?t, je sentis le stress de ma journ?e s'?vanouir. Je me sentais
enfin libre... Je fus m?me agr?ablement surpris d'avoir r?ussi ? battre
mon record de vitesse : vingt-trois tours en quinze minutes. C'?tait
somme toute surprenant.
Puis, j'ai enchain? sur les poids. Malheureusement, ?a ne s'est pas
pass? aussi bien que je l'aurais voulu. Habituellement, je prenais deux
alt?res de 45 kilos et je n'?prouvais aucune difficult? ? monter jusqu'?
cinquante. Ce jour-l?, cependant, j'?tais tout bonnement incapable de
les soulever du sol. M?me ceux de quarante bougeaient ? peine quand je
tentais de les soulever. Normalement, je n'en n'aurais pas fait de cas
si ?a s'?tait arr?t? l?. Apr?s tout, le fait d'avoir subi une telle
crise de claustrophobie pendant plus de trois heures, il y a de quoi
avoir quelques faiblesses. Cependant, ?a ne disparaissait pas, au
contraire. Hormis la course, les r?sultats de mon entra?nement ?taient
d?sastreux. J'avais du mal ? atteindre 70% de mes capacit?s
habituelles.
C'est en sortant du gym que je d?cidai que j'utiliserais ma journ?e de
cong? du lendemain pour aller passer un bilan de sant?. Peut-?tre est-
ce que j'?tais en ?tat de choc ou je ne sais trop quoi. De toute fa?on,
une des choses les plus importantes que j'avais apprise dans mes ?tudes
en biologie, c'est qu'en essayant de diagnostiquer nos propres
probl?mes, notre imagination finit toujours par s'emballer : je n'?tais
pas m?decin... Pas encore... Alors il valait mieux ne pas me faire
trop d'id?e.
Autant mon entra?nement avait ?t? d?cevant, autant j'?tais ext?nu?.
Arriv? chez moi, j'actionnai mon r?veil et me laissai tomber dans mon
lit, d?j? endormi.
CHAPITRE 2
Visite m?dicale
?a devait bien faire trois heures que j'attendais comme un con dans la
salle d'attente du CLSC (Nom donn? ? un type de clinique m?dicale
publique au Qu?bec) quand on m'invita finalement ? entrer dans la salle
d'examen.
? l'int?rieur, une infirmi?re que je qualifierais de vieille brindille
dess?ch?e me for?a ? m'assoir dans une petite chaise de m?tal. De son
c?t?, elle se laissa sombrer dans un large divan de cuir.
- Monsieur Langevin, je dois vous poser quelques questions de routine.
?a ne vous d?range pas?
- Pas vr...
- Tr?s bien, ant?c?dents de SHAGA?
- Euh...
- Tr?s bien, on va dire que non... Fi?vre, toux?
- Pas...
- Non plus, c'est bon...
- Et vous venez pour?
- J'ai v?cu une crise assez intense de claustrophobie et...
Dans un ?lan de pr?tention, l'infirmi?re ferma mon dossier.
- Si c'est pass?, on ne peut pas faire grand-chose... Quand vous aurez
fini de me faire perdre mon temps...
- Ce n'est pas tout...
- Alors d?p?ches-toi un peu...
- Bien, on dirait que je n'ai plus de force.
- C'est ? dire?
- Bien, avant ma crise, j'arrivais ? lever cinquante kilos de fonte et,
maintenant, j'arrive m?me plus ? bouger quarante kilos.
- D'accord, le m?decin sera avec vous dans quelques minutes...
Quelques minutes? Je suis rest? pratiquement deux heures de plus dans
cette pi?ce ? tenter de rendre cette chaise de m?tal confortable. En
fait, j'?tais sur le point de sortir et de tout laisser tomber quand,
enfin le m?decin entra dans la pi?ce.
C'?tait un homme de bonne carrure avec une barbe bien fournie. ? la vue
de ses quatre bras, je devinai qu'il avait d?j? souffert de SHAGA. Bien
qu'une telle situation puisse sembler plut?t ironique, de nombreux
praticiens ont ?t? contamin?s au d?but de l'?pid?mie. C'?tait les
risques du m?tier il faut croire.
Il s'assit dans le fauteuil et lu les notes laiss?es par l'infirmi?re
dans mon dossier. Apr?s quelques minutes de silence, il releva
finalement la t?te et me demanda :
- On t'a fait une prise de sang?
Je fis non de la t?te.
- Alors on va commencer par-l? lan?a-t-il avant de se lever et de passer
voir un autre patient.
Une heure plus tard, je retrouvais la m?me infirmi?re qui m'avait
accueilli plus t?t. Une piqure, quelques jurons, un regard oppressant
de cette horrible brindille et j'?tais (enfin) sorti du CLSC. De ce que
j'avais compris, je recevrais mes r?sultats dans la semaine si j'avais
quoi que ce soit.
Toujours est-il qu'il ?tait maintenant pr?s de treize heures et la faim
commen?ait ? me serrer le ventre. D'ailleurs je n'avais pas d?jeun? ce
matin-l?, pas plus que je n'avais soup? la veille et mes jeans
commen?aient ? me le faire remarquer. Je resserrai ma ceinture et
rentrai chez moi o? m'attendais un frigo bien rempli.
En d?but d'apr?s-midi, je suis all? retrouver mon professeur de
microbiologie, le cours dans auquel je n'avais pas pu assister la
veille. C'?tait un homme grand aux cheveux gris et au large front.
Malgr? mes six pieds deux, je ne lui arrivais qu'? l'?paule et, encore,
seulement si mes semelles ?taient suffisamment ?paisses. Son bureau
?tait situ? au deuxi?me ?tage du pavillon principal. L'endroit ?tait
plut?t sombre et la d?coration datait des ann?es 1970 : longs couloirs
beige, sol de b?ton et, surtout, un enchev?trement de salles et de de
cul-de-sac qui n'?tait pas sans rappeler le labyrinthe du roi Minos.
Chaque fois que je m'y rendais, je finissais par me perdre. C'?tait un
v?ritable calvaire d'arriver ? se retrouver dans ce d?dale de mauvais
go?t mal ?clair?.
Je frappai finalement ? la porte et, presqu'aussit?t, Michel, mon
professeur, ouvrit la porte. En me voyant, il laissa ?chapper un soupir
de soulagement.
- Ah! Tu vas bien... Quand j'ai vu que tu n'?tais pas ? l'examen, j'ai
cru que tu l'avais attrap? toi aussi!
- Attrap? quoi?
- SHAGA, mon ami! Un des ?tudiants de ton groupe a chopp? cette
saloperie. Quand j'ai vu que tu ?tais absent...
- Quelqu'un a attrap? le SHAGA? Vous savez de qui il s'agit?
- Pour ?tre honn?te, je ne peux pas en parler... Ce n'est pas ? moi de
le dire... La moiti? de la classe a ?t? suivre un traitement pr?ventif,
mais je crois que c'est un peu exag?r? comme r?action. Si quelqu'un
l'avait attrap?, il serait trop tard pour ?viter une mutation. Enfin
bon, heureux de te voir en bonne sant?! Qu'est-ce que je peux faire
pour toi?
- Eh bien, par rapport ? l'examen d'hier...
- Pas d'inqui?tude, tu n'as rien rat?. Compte tenu de la situation,
j'ai jug? qu'il serait pr?f?rable de le remettre ? plus tard. Il faudra
deux bonnes semaines avant que tout le monde soit revenu de leur
traitement pr?ventif de toute fa?on. Au fait, qu'est-ce qui t'es arriv?
hier?
- Pour faire court, j'?tais retenu au travail.
Je passai une partie de l'apr?s-midi ? discuter avec lui. J'y voyais
l'occasion d'en apprendre un peu plus sur un domaine qui m'int?ressait.
Ce n'est qu'une fois ses heures de bureau termin?es que je d?cidai de
repartir. Je me levai donc de la petite chaise qu'il r?servait aux
?tudiants qui venaient le consulter et lui serrai la main.
Il me d?visagea alors, l'air inquiet.
- Tu n'?tais pas un peu plus grand?
La question me surpris, mais je savais o? il voulait en venir.
- Vous vous inqui?tez trop, Michel! Comme vous dites, si j'avais le
SHAGA, j'aurais d?j? subi des mutations.
- Certaines mutations sont plus subtiles... Mais tu as raison!
- De toute fa?on, si j'avais commenc? ? muter, il serait d?j? trop
tard...
- Tu as encore raison! Allez, rentres chez toi et ne t'inqui?tes pas
avec ?a.
J'?tais debout, dans ma salle de bain, devant mon miroir. Est-ce qu'il
serait possible que je sois plus petit? En y portant attention, il est
vrai que mes v?tements me semblaient un peu plus grands. D'un autre
c?t?, la diff?rence est si minime qu'il se pourrait tr?s bien que
l'?motion des derniers jours joue avec ma t?te. Michel devait avoir
raison. Il ne fallait pas que je m'inqui?te avec ?a.
De retour dans mon salon, je remarquai la couverture de my little pony
que j'avais ramen? de l'entrep?t. J'?tais si ?branl? que j'avais
compl?tement oubli? que je l'avais laiss?e l?. Je la ramassai et, au
moment de la mettre dans la poubelle, je m'arr?tai. Pourquoi jeter une
couverture neuve? Il doit bien y avoir quelqu'un qui serait content de
la recevoir. Je la rangeai donc dans un placard en me promettant de lui
trouver preneur d?s que j'en aurai l'occasion.
Je m'installai alors dans mon fauteuil, devant la t?l?vision, mon
ordinateur portable pos? sur ma table ? caf?. Je repensais ? ce que
Michel m'avait dit... Et si j'avais ?t? infect?. Qu'est-ce que
j'allais devenir? D?pendant de la branche de la maladie, je pouvais
tout aussi bien devenir un monstre que simplement devenir roux... Sur
le coup, je me demandai lequel des deux serait le pire. Je laissai
?chapper un l?ger rictus : ?tre roux serait probablement pire. Il
fallait que je me change les id?es. Normalement, je n'aurais pas h?sit?
? aller m'entra?ner, mais ma s?ance de la veille m'avait laiss? quelques
raideurs au niveau des bras. En plus, je risquais de ne pas ?tre
capable de soulever mes poids habituels et une telle situation ne
m'aurait certainement pas apais?.
Non, il fallait que je trouve autre chose. Je repensais ? la couverture
dans mon placard. Pourquoi est-ce que cette s?rie est si populaire
apr?s tout? Un de mes amis m'a m?me admis en ?tre fan. Peut-?tre est-
ce que je devrais y jeter un coup d'?il avant de juger.
Vers minuit, je venais de terminer la premi?re saison. Aussi surprenant
que cette situation me paraissait, j'?tais tout bonnement incapable de
m'arr?ter. Je continuai donc ? encha?ner les ?pisodes les uns apr?s les
autres jusqu'? ce que je m'endorme devant mon ?cran d'ordinateur.
C'est mon t?l?phone qui me r?veilla. Instinctivement, je jetai un coup
d'?il ? l'horloge, il n'?tait que neuf heures trente.
- Oui all?, d?crochai-je, la voie encore enrou?e par la nuit.
- Bonjour monsieur Langevin s'il vous pla?t!
- C'est moi!
- Bonjour, docteur Lefebvre du CLSC. J'ai re?us vos r?sultats de tests
et... Bon, normalement, je demande aux patients de se d?placer pour ce
genre de choses, mais nous sommes un peu d?bord?s en ce moment comme
vous avez pu vous en rendre compte. Je n'ai pas assez de quatre bras
pour tout faire. Est-ce que ?a vous d?rangerait si je...
- Non, c'est bon, vous pouvez me donner mes r?sultats tout de suite!
- Bien...
Il h?sita quelques secondes, prit une profonde respiration et lan?a,
d'un seul trait
- Je crois que vous avez contract? le SHAGA...
- J'ai le...
- Les tests plus approfondis sont en cours, mais je suis certain ? 99%
que c'est le cas. Votre bilan hormonal montre une nette augmentation du
taux d'?strog?ne et, pour tout vous dire... Certaines hormones ne sont
pas humaines...
- Pas humaines...
- Inutile de paniquer... Ces situations ne sont pas rares... Pour
l'instant, votre prise de sang n'a rien r?v?l? de trop alarmant hormis
vos hormones. Si, toutefois vous observez des changements inqui?tants
tels que...
- J'ai le SHAGA?
- Oui, c'est ce que je viens de dire... La seule chose que vous pouvez
faire, c'est de bien observer votre corps pour vous assurer qu'aucune
mutation dangereuse ne prenne place.
- Et on ne peut rien faire?
- Votre mutation est d?j? en cours... ? moins que votre transformation
ne mette votre vie en danger, nous pr?f?rons laisser la maladie suivre
son cours.
Mon c?ur battait ? mille ? l'heure et ma t?te ne r?pondait plus. Tout
ce que je savais sur cette maladie semblait s'?vaporer peu ? peu.
- Qu'est-ce que je vais devenir?
- Difficile ? dire... La maladie en est encore ? ses d?buts. Compte
tenu de votre bilan hormonal, je peux dire que votre chromosome Y a
probablement ?t? remplac? par un chromosome X, mais c'est tout ce que je
peux dire. Aucun test ne permet de voir si le virus a atteint le
cerveau. Il n'est donc pas exclu que vous observiez un changement de
personnalit?. C'est tout ce que je peux dire. Si vous avez d'autres
questions, je vous invite ? passer au CLSC, nous avons un groupe de
soutien pour...
Je raccrochai sans attendre la fin de ses explications. Je me laissai
tomber par terre, le regard vide. J'?tais an?anti.
CHAPITRE 3
Le rapport quotidien
Apr?s avoir re?us cette nouvelle, j'avais comp?temment oubli? que
j'avais un cours de chimie g?n?ral ce matin-l?. Je me sentais perdu,
j'?tais an?anti. J'ignore comment je suis arriv? au C?GEP, mais ? dix
heures trente, je frappais fr?n?tiquement ? la porte du bureau de
Michel. Apr?s ce qui me sembla ?tre une ?ternit?, il m'ouvrit enfin, un
casque d'?coute sur les oreilles et arborant un air d?concert?.
J'entrai dans son bureau avant d'?clater en larmes.
Il referma sa porte et s'installa ? son bureau. Inquiet, il me tendit
une bo?te de mouchoir. J'en arrachai un et tentai de contr?ler mes
sanglots. Apr?s d'innombrables efforts, je finis par ?chapper un bout
de phrase entre deux reniflements.
- Je l'ai...
- Le SHAGA?
Je fis oui de la t?te, incapable de dire quoi que ce soit. ? cet
instant, je me sentis compl?tement stupide d'?tre all? voir un
professeur plut?t que mes parents ou qui que ce soit d'autres, mais je
me sentais incapable de me pr?senter dans un tel ?tat devant mon p?re.
Michel adopta un air grave et se laissa tomber dans son fauteuil.
- Au moins, la phase de contagion est termin?e murmura-t-il.
Loin de me rassurer, je recommen?ai ? pleurer de plus belles.
- ?coutes, ce n'est pas si mal. La maladie est tr?s connue maintenant.
Quand je l'ai attrap?...
- V... Vous l'avez attrap??
Il hocha la t?te.
- Premi?re vague, figures-toi! Imagine un peu le visage de mes parents
quand je suis venu les visiter.
- Comment vous ?tiez.
- Petit... As-tu un indice sur ce que tu...
- D'apr?s le m?decin, mon chromosome Y a mut? en chromosome X...
- Oh... Je vois... Eh bien, jeune fille...
? ces mots, je sentis mon c?ur se serrer.
- Je suis toujours un homme...
- D?sol? d'?tre si dur, mais il faut te pr?parer au pire.
Je sentis les larmes couler sur mes joues.
- Vous avez raison, r?pondis-je en baissant la t?te.
- Est-ce que c'est tout?
- Selon le m?decin, c'est impossible de le dire pour l'instant...
Il hocha la t?te, songeur.
- ?coute... La session risque d'?tre assez p?nible pour toi. Voici
donc ce que je t'offre. Plut?t que de faire les examens et les autres
recherches, fais-un rapport au sujet de ta maladie. Je sais que la
consolation est plut?t mince, mais c'est le plus que je puisse faire. Au
moins, tu n'auras plus ? t'inqui?ter de mon cours.
- Merci, professeur, dis-je en reniflant.
- C'est rien! Maintenant, ce n'est pas que je veuille te mettre ? la
porte, mais j'ai un cours qui commence dans n?gatif trois minutes.
- Oh, d?sol?, dis-je en me levant d'un bond. Je vous laisse aller!
- Pas de mal. Je comprends ce que tu traverses...
Je lui serrai la main et sortis de son bureau. Sans trop comprendre
pourquoi, je me sentais un peu mieux. Remplacer mes examens par cette
?tude sur le terrain me semblait ?trangement r?confortant et, pourtant,
mes ?tudes ?taient bien le moindre de mes soucis ? cet instant pr?cis.
Toujours est-il qu'une telle offre me faciliterait un peu la vie en fin
de session.
Pour la deuxi?me fois en autant de jours, je me retrouvai devant mon
miroir, scrutant chaque centim?tres de mon corps, ? l'affut du moindre
changement : mes cheveux blonds semblaient les m?mes que la veille.
Peut-?tre ?taient-ils un poil plus fonc?s, mais ?a pouvait tout aussi
bien ?tre mon imagination. Mes v?tements ?taient un peu plus grands
qu'ils auraient d? l'?tre, mais, encore, ce n'?tait rien d'alarmant.
Je levai mon t-shirt et m'attardai ? ma poitrine. Elle n'avait rien de
f?minin : j'avais la m?me pilosit?, ma musculature ?tait toujours
pr?sente. Un peu moins d?finie, peut-?tre. Mes hanches, mes jambes,
tout me semblait ? peu pr?s normal.
Apr?s environ une heure ? me regarder sous toutes les coutures, le seul
changement que j'ai pu observer ?tait un bouton qui m'avait pouss? au
milieu du front. Je sortis mon cartable et notai ces observations au-
dessous des mots "deuxi?me jour".
J'avais indiqu? que la veille j'avais perdu mes forces et que je
semblais plus petit. En ?crivant ce mot, je me demandai combien de
temps il me restait avant qu'il ne me faille ?crire "petite".
Je terminai la journ?e comme la veille, en regardant My Little Pony sur
internet. Je venais de terminer la troisi?me saison quand je pris
conscience de ce qui ce nouvel int?r?t pour cette ?mission me venait
probablement de ma maladie. Ce qui s'?tait pass? dans le camion avait
probablement d?clench? ma mutation. Tout ? coup, j'avais la naus?e.
Sans attendre, je fermai mon ordinateur portable tout en sachant que
cela n'aurait aucune influence sur ma transformation. Je devais
m'occuper l'esprit. J'attrapai mon cartable et y notai cette nouvelle
observation. Tout en luttant pour ne pas reprendre mon visionnage de My
little pony, je priais le ciel pour ne pas finir mes jours dans le corps
d'une fillette de huit ans.
Mon r?veil sonna ? huit heures. Normalement, quand j'allais travailler,
je ne me l?ve pas avant neuf heures, mais je devais remplir mon rapport
sur ma transformation. Ce matin-l?, plus de doute possible. Mes
cheveux ?taient plus fonc?s et un peu plus longs. Ma carrure ?tait
toujours relativement imposante, mais mon pyjama un peu trop grand
mettait en valeur la l?g?re perte musculaire que j'avais subit au
courant de la nuit. Je retirai le haut de mon pyjama pour voir les
d?g?ts de plus pr?s : mes muscles ?taient toujours aussi d?coup?s, mais
ils me semblaient moins imposants que la veille. Encore une fois, la
diff?rence ?tait subtile, mais elle ?tait pr?sente. Seuls mes biceps me
semblaient un peu plus volumineux. Je compris presqu'imm?diatement
qu'il me faudrait rapidement me procurer des soutien-gorge.
Je pris en notes l'?volution de ma maladie et sortit de chez moi.
J'?tais un peu en avance, mais je profiterai de l'occasion pour
expliquer la situation ? mon superviseur. Une fois dans ma voiture,
j'ajustai mon si?ge ? ma taille et je me mis en route.
Robert fut particuli?rement compr?hensif. Il m'accorda un cong? maladie
pay? jusqu'? ce que je sois remis (ou remise lan?a-t-il de peur de me
froisser) de ma mutation. J'insistai pour continuer ? travailler, mais,
compte tenu de ce qui s'?tait pass? dans le camion, il croyait que
m'exposer aux moqueries de certains de mes coll?gues risquait de me
nuire plus qu'autre chose. Dans un sens il avait raison. Autant je
redoutais de subir de mauvaise blagues par rapport ? mon physique
changeant autant je craignais de trouver toute une bande d'idiots
repentants agissant avec moi comme on agit avec un malade en phase
terminal. Aucune de ces deux id?es ne m'enchantait particuli?rement.
Je n'ai donc pas insist? d'avantage et je suis rentr? chez moi.
Aussit?t de retour chez moi, je m'empressai de retirer mes chaussures.
Au cours de la matin?e, elles ?taient devenues progressivement trop
larges et trop courtes. Elles demeuraient tout ? fait portables, mais
elles ?taient tout simplement inconfortable. Je notai ce d?tail dans
mon rapport avant de me laisser tomber dans mon fauteuil. La t?l? me
semblait horriblement morne : hormis les informations, tout ce que je
trouvais se r?sumait par le mot rediffusion. Devant moi ?tait pos? mon
portable. J'h?sitai quelques secondes avant de voir ma volont?
m'abandonner : ma mutation ?tait d?j? en cours et me priver de ma
nouvelle s?rie pr?f?r?e ne r?glerait rien.
Je m'installai donc et terminai le visionnement de la troisi?me saison.
Je profitai alors du t?l?chargement de la saison suivante pour me
pr?parer un petit d?ner rapide et revenir devant le miroir.
Encore une fois, les changements ?taient subtils. Presqu'imperceptible,
en fait. Mes cheveux ?taient un peu plus longs, un peu plus fonc?s.
J'?tais visiblement plus petit que ce matin et mes ?paules moins larges.
La transformation acc?l?rait, mais j'?tais toujours tr?s loin de pouvoir
passer pour une fille. Je retirai mon t-shirt pour ?tudier ma
musculature et, encore l?, aucune surprise. Un peu moins de muscles, un
peu plus de poitrine et, bien que mes seins naissants restaient
relativement masculins, ils me rappelaient l'in?vitable finalit? de ma
transformation.
Pour ce qui est du reste, le bouton sur mon front ?tait toujours l?, un
peu plus gros peut-?tre, mes hanches ?taient un peu plus g?n?reuses,
mais, sous la ceinture, tout ?tait l?. C'?tait une mince consolation
puisque je savais pertinemment que mon voisin d'en dessous finirait par
me laisser tomber lui aussi. Seul d?tail ?trange que je m'empressai de
mettre en ?vidence dans mon rapport ?tait ma pilosit?. Loin de
s'att?nuer, elle semblait au contraire s'?paissir. Le tout ?tait peut-
?tre caus? par mon imagination ou ma perte de masse musculaire, mais le
fait est que j'avais l'impression que mes poils ?taient plus fournis
qu'? l'habitude.
Ce soir-l?, j'avais un cours de fran?ais. Un de ces cours obligatoires
ridicules qui ne servent ? personne et qui sont inscrit ? l'horaire de
tout le monde simplement pour justifier leur existence. En entrant dans
la classe, j'avais l'impression que tous les regards ?taient tourn?s
vers moi. ?videmment, c'?tait faux. Tout le monde ?tait trop obnubil?
par leurs ?tudes (ou leur conversation) pour faire attention ? qui que
ce soit. Toujours est-il que j'avais l'impression d'?tre un
extraterrestre avec mes jeans deux tailles trop grands, mes chaussures
trop serr?s et mon t-shirt mal ajust?. J'ai bien entendu quelques
remarques autours de moi, mais rien de trop alarmant. Je savais que la
situation serait probablement pire la semaine suivante alors je d?cidai
de prendre les devants.
Quelques minutes avant la fin du cours, je levai la main et demandai de
prendre la parole. La professeure, une femme rondelette d'un certain
?ge accepta sans, pour autant, se priver de me lancer un regard
r?probateur.
- Excusez-moi, lan?ais-je d'une voix chevrotante qui, sur sa lanc?e
avait mont? d?une octave avant de redescendre ? son niveau normal.
J'ai... Je subis quelque chose de difficile ces jours-ci...
Je pris une profonde respiration, je fermai les yeux et lan?ai d'un
trait : "Pour faire simple, j'ai attrap? le SHAGA et il semblerait que
d'ici peu, je serai une fille..."
Un silence de mort tomba alors sur la salle de classe. Apr?s quelques
secondes, je me levai et sortis sans ajouter un mot.
Devant mon miroir, j'essayais de remarquer tous les indices de f?minit?.
Tant que mes seins restaient bien cach?s sous un t-shirt, la diff?rence
?tait, pour ainsi dire invisible. ?videmment, quelqu'un qui me
conna?trait moindrement aurait t?t fait de remarquer que j'avais r?tr?ci
de cinq bon centim?tres en moins de trois jours et que mes cheveux
avaient pass? du blond au brun. Cela dit, pour un ?tranger, je restais
un gar?on. Un gar?on plut?t maigrichon en comparaison de celui que
j'avais ?t?, mais je restais un homme... Pour l'instant, du moins. Une
certaine partie de mon anatomie semblait bien d?cid? ? changer de
carri?re. Bien s?r, Junior ?tait toujours l?, mais pour ce qui est de
la taille, disons que je n'?tais plus tout ? fait l'?talon que j'avais
?t?.
Dans un sens, cette observation me rassura un peu : ma mutation ?tait en
cours et, plus vite elle serait termin?e, plus vite je pourrai reprendre
une vie normale... Enfin aussi normale que la vie d'une fille fanatique
de My Little Pony puisse ?tre.
CHAPITRE 4
Besoins de soutiens
Le vendredi ?tait ma journ?e la plus charg?e en termes de scolarit?.
Philosophie en premi?re p?riode, sit?t suivi d'astronomie, mon cours
optionnel et, en derni?re p?riode, je devais subir un cours de calcul
diff?rentiel j'avais donc r?gl? mon r?veil pour sept heures, histoire
de prendre le temps de r?diger mon rapport et de me doucher.
La nuit n'avait pas ?t? douce pour moi. Mes cheveux encore bruns au
moment d'aller au lit avaient remplac?s par une luxuriante crini?re noir
de jais. Celle-ci, rehauss?e de magnifiques reflets bleut?s aurait fait
rougir d'envie n'importe quelle fille.
J'?cartai une longue m?che de cheveux noirs qui m'emp?chait de bien
appr?cier le spectacle. Ma chevelure, qui m'arrivait maintenant
jusqu'aux ?paules encadrait un visage qui, depuis les dix-neuf derni?res
ann?es, avait l'?trange habitude d'?tre le mien. Malgr? une m?choire
toujours bien carr?e, ses traits s'?taient l?g?rement adoucis. Mes
l?vres, l?g?rement plus roses laissaient para?tre des dents d'une
blancheur immacul?e. Celles-ci, l?g?rement plus longues ? l'avant,
donnaient, ? mes sourires ? venir un aspect ? la fois sauvage et
innocent.
En toute h?te, je retirai mon pyjama pour laisser para?tre ma poitrine
qui, l'espace d'un instant, sembla me supplier de lui acheter son
premier soutien-gorge. Mes seins n'?taient pas tr?s gros, juste ce
qu'il fallait pour m?riter un double A ou un petit A. Cela dit, il
m'?tait maintenant impossible de les confondre avec des pectoraux.
Ma silhouette aussi avait chang?. Mes hanches continuaient ? se
d?velopper laissant entrevoir les formes encore vagues de ce qui
pourrait devenir une tr?s jolie fille. Heureusement pour moi, entre mon
travail, mes cours et mes s?ances d'entra?nement, je n'avais pas
vraiment eu le temps de fraterniser avec la faune ?tudiante. Si
certains pourraient me d?crire comme solitaire, la plupart de mes
coll?gues ?tudiants ignoraient jusqu'? mon existence et c'?tait, ? cet
instant, une tr?s bonne chose. Qui pourrait pr?ter aux changements
physiques d'une personne qu'ils n'avaient jamais m?me remarqu?. Tant
que je ne croisais pas Julie, je devrais m'en sortir plut?t facilement.
Pendant le cours de philosophie, mes chaussures ?taient devenues si
justes que je n'arrivais plus ? me concentrer. Du coup, je n'avais m?me
pas la pr?sence d'esprit pour r?pondre pr?sent au moment o? notre
professeure lan?a mon nom ? trois reprises. Heureusement, j'avais jug?
bon de lui expliquer ma situation avant le d?but de la p?riode. Cela
m'?vita une absence en plus des interrogations de l'enseignante ? la vue
d'un nouveau visage. Toujours est-il qu'? onze heure la douleur ?tait
devenue si intense je d?cidai de ne pas assister ? mes cours de l'apr?s-
midi. Il me fallait ? tout prix de nouvelles chaussures et, peut-?tre,
quelques soutien-gorge.
Pieds nus, je parcourais les rayons d'un grand magasin. J'avais ?t?
oblig? d'abandonner mes vieilles espadrilles dans ma voiture car elles
?taient devenues si inconfortables qu'elles m'emp?chaient de marcher.
C'?tait ?trange tout de m?me. J'avais perdu pr?s de douze centim?tres
en quelques jours, mais, pourtant, mes pieds avaient, quant ? eux, en
avaient gagn? quatre. M?me une fois lib?r?s de leur entraves, ils
continuaient de me faire souffrir : chacun de mes ongles ?taient bleuis
tant ils avaient ?t?s compress?s. J'h?sitai pendant plusieurs minutes.
D'un c?t?, toutes les chaussures pour hommes ?taient trop larges tandis
que celles pour femmes ?taient trop courtes. Apr?s presqu'une heure ?
essayer toutes les paires que je pouvais trouver, je finis par prendre
une paire de converse rouge de taille 13. En les attachant tr?s
serr?es, elles m?allaient presque parfaitement. Qu'importe quel genre
de femme je deviendrais, je pouvais ?tre certain que je ne serais pas
une Cendrillon.
Je du bien tra?nasser pendant deux heures avant de me d?cider ? entrer
dans le rayon des dessous f?minin. ? cet instant, j'aurais voulu ?tre
d?j? une fille. En y r?fl?chissant bien, j'aurais peut-?tre d? prendre
le temps de me raser avant de venir. Avec des v?tements suffisamment
ajust?s, je suis presque certain que j'aurais pu passer pour une fille
vraiment tr?s laide... Ou un gar?on vaguement ?limin?.
- Est-ce que je peux vous aider?
Je sursautai. Une jeune vendeuse m'avait approch? par derri?re sans que
je ne l'entende.
- Je... Euh... Voudrais avoir un soutien-gorge.
Elle croisa les bras, l'aire sceptique. J'imagine que, sur le coup,
elle me prit pour un pervers.
- C'est pour votre petite amie?
- Non c'est pour moi... Je euh... SHAGA...
Ses bras se d?crisp?rent et son regard, encore vaguement sceptique se
remplit de piti?.
- Est-ce que ?a va aller?
- Euh... J'imagine...
Elle me d?visagea un instant.
- J'imagine que de te demander quelle grandeur...
- C'est dur ? dire... C'est juste temporaire de toute fa?on. J'ai
l'impression qu'ils vont encore grandir ces deux-l??
Je laissai ?chapper un rire nerveux qui, venant de moi, sembla tr?s
f?minin.
- Je vais te mesurer.
Elle sortit un ruban de tailleur et l'enroula autours de ma poitrine.
C'?tait ?trange : normalement, une situation semblable m'aurait rendu
particuli?rement f?brile, mais, ? cet instant, je ne ressentais rien.
Il faut tout de m?me rappeler que j'?tais sur le point d'acheter mon
premier soutien-gorge. C'?tait suffisant pour occuper mon cerveau ?
autre chose.
- quarante devrait suffire...
- Ce qui veut dire?
- Tu devrais te prendre un 40 double A.
- Et on le met comment?
La question avait sortie toute seule. Pour retirer des sous-v?tements ?
une fille, c'?tait une chose, mais pour les mettre moi-m?me, c'en ?tait
une autre.
Apr?s quelques secondes d'h?sitation, elle me tra?na dans une cabine
d'essayage et me demanda de retirer mon t-shirt.
- Je te demande pardon?
- Allez-vas-y. Tu n'auras probablement rien que je n'ai pas d?j? vu!
C'?tait ?trange comme sensation. Pour un gar?on, retirer le haut n'a
rien de g?nant, mais, depuis que j'avais quelque chose ? cacher, je me
sentais un peu mal ? l'aise de laisser quelqu'un d'autre voir ma
poitrine. Apr?s quelques secondes de r?flexion, je retirai finalement
mon chandail et la jeune vendeuse sortit.
J'allais me rhabiller quand elle revint finalement.
- Voil?, prends celui-l?.
- C'est quoi la diff?rence?
- C'est un A. Un double A aurait probablement ?t? trop petit.
- Merci...
J'enfilai le soutien-gorge non sans demander un minimum d'aide ? mon
habilleuse.
- Voil?, ?a te va comme un gant! ?a fait un peu bizarre de voir une
fille avec autant de poil, mais ?a te fait bien.
- Merci pour ton aide!
- C'est normal, j'ai un cousin... Une cousine qui est pass?e par l?.
Je sais que ?a peut ?tre difficile. Comment tu t'appelles?
- Alex et toi?
- Florence!
Je tentai de retirer mon soutien-Gorge, mais Florence m'arr?ta. Non,
c'est bon, gardes-le! Je vais te faire payer moi m?me!
Malheureusement, j'avais termin? mes courses ? temps pour me rendre ?
mon cours de calcul diff?rentiel. C'?tait probablement le cours que je
d?testais le plus. Enfin, si on excluait fran?ais et philosophie. Ce
n'est pas qu'il me donnait du fil ? retordre, bien au contraire. Il me
semblait trop facile. Je m'arr?tai ? la caf?t?ria me prendre une salade
et je me dirigeai vers la salle de cours.
Comme j'?tais en avance, seul monsieur Robert, le professeur ?tait
pr?sent, grimp? sur une chaise ? ?crire des ?quations au tableau.
C??tait un homme plut?t petit avec les cheveux noirs et d'?paisses
lunettes. Il semblait tellement absorb? par ses calculs que je n'osai
pas le d?ranger.
Je m'installai donc ? un bureau au fond de la classe pour manger ma
salade.
Quelques secondes plus tard, il descendit de son perchoir et se retourna
vers moi, surpris.
- Alex?
- Bonvour brovesheur, r?torquais-je, la bouche encore pleine de
salade...
Michel m'avait parl? de ta situation, mais je ne pensais pas que...
Enfin bon, tu as du courage de poursuivre ta session malgr? tout.
J'avalai ma bouch?e de salade et lui souris.
- Bah, ce n'est qu'un mauvais moment ? passer!
Au fond de moi, je savais que c'?tait faux et que ma seule envie ?tait
de rentrer chez moi et de pleurer en regardant une seconde fois
l'int?gral de My Little Pony, mais je ne laissai rien para?tre. Je ne
voulais pas paraitre pour le type qui s'apitoie sur son sort. Je
n'?tais pas le premier ? attraper cette stupide maladie et je ne serais
pas le dernier.
- Ne sois pas trop surpris... Ou surprise... Qu'importe... Pr?s de la
moiti? de ton groupe est absent. Avec deux cas de SHAGA dans la m?me
classe... Enfin bon, l'hyst?rie collective, quoi! Au fait, tant que
j'y pense, Michel m'a demand? de te remettre ?a!
Il me tendit une enveloppe sur laquelle mon nom ?tait marqu?.
- Merci, professeur!
En entendant ces mots, il me lan?a un regard rempli de curiosit?.
- Depuis quand tu m'appelles professeur?
Je tentai de r?pondre, mais rien ne venait. Un lourd silence prit alors
la parole jusqu'? ce qu'il ne soit interrompu par quelques ?tudiants qui
se joignaient au cours.
J'?tais inconfortable assis ? mon bureau. Mon soutien-gorge si bien
ajust? en milieu d'apr?s-midi devenait de plus en plus l?che au niveau
des ?paules tandis que les bonnets devenaient plus serr?s. En plus,
pour ajouter ? mon inconfort, mon dos me faisait mal. Ce genre de
douleurs n??tait pas rare chez les patients atteints de SHAGA.
G?n?ralement, elles ?taient associ?es ? une croissance ou une
d?croissance osseuse rapide. Avec mes hanches qui s'?largissaient ? vue
d'?il et ma taille qui diminuait ? un rythme tout aussi effr?n?, il
n'?tait pas surprenant que je subisse ce genre de revers.
Je tentai de me concentrer sur la mati?re du cours, histoire de ne pas
penser ? mes inconforts. Je serais probablement capable de trouver la
valeur de X tel que demand? par monsieur Robert. Je me mis donc ?
gribouiller sur une feuille mobile et, ? l'instant o? notre enseignant
eut termin? ses explications, je levai ma main. Celui-ci me d?visagea
quelques secondes puis repris.
- Quelqu'un d'autre pourrait-il donner une r?ponse dans cette classe?
J'insistai en secouant la main.
- D'accord! Alex?
Je gardai le bras tendu sans r?pondre.
- Alex...
Je ne r?pondis toujours pas. Inquiet, monsieur Robert s'approcha de moi
et redit mon nom. Ce n'est qu'? ce moment que je me d?cidai ? parler.
- La r?ponse est quarante-deux, professeur, lan?ais-je, fier de moi.
Les quelques ?l?ves suffisamment attentif pour entendre ma r?ponse
pouff?rent de rire. J'avais recommenc?. Sur le coup, je ne r?alisai
m?me pas qu'il avait dut me nommer trois fois pour que je r?agisse. La
honte d'avoir surnomm? monsieur Robert "professeur" me faisait rougir de
honte. Je m'enfon?ai sous mon bureau, esp?rant que personne ne me
remarque d'avantage.
Je me rappelai alors de la note que m'avait fait parvenir Michel. Je
d?cachetai l'enveloppe en silence et lut son contenu : la mention
manuscrite "si tu as une p?riode libre" accompagnait une carte sur
laquelle on pouvait lire "SHAGA - Groupe de soutien Lundi, 19h00 ?
21h00, local CH022".
Je n'aurais jamais pens? qu'il y aurait un groupe de soutien pour les
victimes de SHAGA. Toujours est-il que cette information pourrait ?tre
tr?s utile. Je repensais ? mon soutien-gorge mal ajust? qui m'avait
co?t? pr?s de quarante dollars. Peut-?tre que quelqu'un aurait un truc
pour ne pas se ruiner en nouveau v?tements.
CHAPITRE 5
Je m?appelle...
C'?tait enfin le week-end. Depuis que j'avais d?croch? mon emploi ?
l'entrep?t. C??tait la premi?re fois que je pouvais me permettre de
paress? un samedi matin. Au chaud sous ma couverture, me m'?tirai
l?chement, esp?rant que la maladie aussi aurait d?cid? de prendre une
journ?e de cong?. Une douleur lancinante au bas du dos me ramena ? la
r?alit?.
Je me retournai pour tenter de retrouver une position confortable. Je
ne voulais pas affronter le miroir ce matin-l?. Je ne pouvais
m'attendre ? aucune am?lioration et mon rapport pouvait bien attendre
quelques minutes de plus. Pour l'instant, cach? sous ma couette,
j'arrivais encore ? nier que j'?tais en train de devenir une femme. La
douleur dans mon dos devenait peu ? peu insupportable. Je tentai de
m'assoir, mais ?a n'arrangea rien. Ce n'est qu'une fois debout que le
mal rel?cha un peu son ?treinte. Je m'?tais finalement lev? et je
savais ce que je devais faire.
Debout devant mon miroir, j'interrogeais mon reflet. J'?tais encore
plus petit que la veille. En tout, j'avais perdu vingt centim?tres et
je n'?tais pas le seul. Junior sortait maintenant ? peine de sa
carapace et ses deux amis ?taient ? peine pr?sents pour le supporter
dans cette ?preuve. Mes seins ?taient un peu plus gros et mes ?paules
?taient plus fr?les. L'une d'elles avait m?me trouv? le moyen de se
frayer un chemin ? travers le col de mon pyjama. Il me faudrait
d?cid?ment une nouvelle garde-robe. Et un nouveau soutien-gorge,
murmurais-je une fois ma chemise de nuit retir?e. Mes cheveux, quant ?
eux, ?taient un peu plus bleut?s, un peu plus longs.
Hormis ma barbe que je n'avais pas ras?e de la semaine, mon visage ?tait
suffisamment f?minin pour me faire passer pour une fille. En fait, si
je prenais le temps de me raser les jambes, les bras et le torse,
j'?tais pratiquement certain que je passerais facilement pour jeune
femme. Bon, je ne serais probablement pas un sexe symbole, mais, ? une
?poque, je n'aurais pas eu trop honte d'avoir une telle parure accroch?e
? mon bras.
Je remis mes boxers et, toujours seins nus, je tentai de prendre une
pose sexy.
-Alors, fille ou gar?on, demandais-je ? mon miroir.
-...
Son silence voulait tout dire. Personne ne me prendrait plus pour un
homme malgr? toute ma pilosit?. J'avais les larmes aux yeux. Je savais
que ?a arriverait t?t ou tard, mais je ne pensais pas qu'en moins d'une
semaine, j'en serais arriv? ? ce point.
J'?tais sur le point de me raser pour en finir avec cette ambigu?t?
quand je remarquai le bouton que j'avais toujours au milieu du front.
D?posant mon rasoir, je m'approchai de mon miroir pour le regarder de
plus pr?s. Il ?tait encore plus gros que la derni?re fois que je
l'avais remarqu?. Je le pin?ai de toutes mes forces mais mes doigts
gliss?rent pour s'?gratigner sur quelque chose.
- A?e, sursautais-je d'une petite note aig?e que je ne croyais pas
pouvoir atteindre.
Je regardai mon index droit pour y voir une petite ?corchure, de
laquelle s'?chappait une goutte de sang.
Mon reflet me d?visageait, surpris. Au milieu de son front, son bouton
avait ?clat? et laissait paraitre, en son sein, une petite pointe ?
peine visible. Intrigu?, j'essayai de l'arrach?, mais c'?tait en vain.
C'?tait comme si un petit morceau de ma bo?te cr?nienne avait d?cid? de
lever la t?te, histoire de voir de quoi le monde pouvait avoir l'aire ?
l'ext?rieur de ma peau. Je ne savais pas trop quoi penser. N'?tait-ce
qu'une blessure ou une autre mutation caus?e par le Shaga. Je secouai
la t?te. Qu'importe ce que c'?tait, je ne pouvais pas y faire grand-
chose : il ?tait trop tard pour aller voir le m?decin et je n'?prouvais
aucune douleur... Du moins, si on excluait l'?gratignure qui ornait
maintenant mon index droit.
Apr?s avoir aval? quelques cachets, histoire de calmer mon dos endolori,
je me laissai sombrer dans un bon bain chaud dans lequel je finis par
m'endormir.
Une sonnerie ?lectronique me fit immerger des bras de Morph?e.
- All?, r?pondis-je d'un hoquet un peu plus haut-perch? que je ne
l'aurais voulu.
- Euh... All?? Qui parle?
J'h?sitai quelque secondes. Cette voix me disait quelque chose, mais je
n'arrivais pas ? mettre le doigt dessus : ? la fois grave et timide,
elle avait quelque chose de vaguement myst?rieux.
- Twilight...
- Oh... Je crois que je me suis tromp? de num?ro.
Je mis quelque secondes ? me rendre compte de ce qui s'?tait pass? : je
venais de me pr?senter comme Twilight.
Sans attendre une seconde de plus, je me pr?cipitai devant mon miroir et
m'examinai de la t?te aux pieds. Je n'avais pas vraiment chang? depuis
mon rapport, mais je cherchais fr?n?tiquement des yeux le moindre d?tail
qui pouvait confirmer mes craintes. La pointe qui avait perc? mon
front... Mes pieds un peu plus longs que la veille. Tout se mettait en
place dans ma t?te, me laissant avec une seule conclusion possible :
j'allais devenir une copie de Twilight Sparkle.
Je paniquais. Me transformer en fille, d'accord, ? d?faut d'aimer
l'id?e, c'?tait quand m?me quelque chose de vivable, mais devenir un
poney, une petite pouliche bleu avec une m?che rose, c'?tait trop pour
moi... ?a ne pouvait pas ?tre vrai.
Comme pour tenter de me prouver que je devenais une vraie femme,
j'entrepris de me raser de la t?te aux pieds, histoire de me voir sans
cette pilosit? hirsute. Alternant les sanglots et les hoquets de
douleurs, je finis par venir ? bout de cette corv?e.
Je me tenais devant mon miroir, une imberbe et indubitablement mignonne.
Bon, il y avait toujours le probl?me de junior, mais, une fois habill?,
je pourrais facilement ?tre qualifi? de mignonne. Je n'aurais
probablement pas fait de d?fil? de mode, mais tout de m?me. D'une main,
j'effleurai mon visage avant de sentir les larmes me monter aux yeux.
C'en ?tait trop.
Je m'?croulai, en pleurs.
Dimanche matin, je n'osai pas affronter le miroir. Le fait de voir mon
oreiller compl?tement ?ventr? par ma corne toujours croissante avait
suffi ? g?cher ma journ?e. Mon dos me faisait encore plus mal que la
veille et mes poils avaient d?j? repouss?. Chacun d'eux arboraient d?j?
de vagues reflets lavande, avant-go?t de ce qui m?attendait dans les
jours ? venir.
M?me le fait de marcher ?tait devenu difficile. Mes pieds n'avaient pas
allong?, mais, en contrepartie, mon corps tout entier tentait de me
faire comprendre par sa d?marche chancelante que le statut de
plantigrade n'?tait plus tout ? fait adapt? ? ses besoins.
Malheureusement pour moi, je n'avais pas les sabots n?cessaires pour
supporter une telle position et, ? la moindre inattention, je finissais
face contre terre. J'avais l'impression d'?tre ? nouveau un enfant qui
apprend ? marcher.
Alors que j'?tais assis ? m?me le sol au milieu de mon salon, je ne
pouvais m'emp?cher de me demander si j'allais finir ma vie comme un
quadrup?de. Dans l'?mission, mon personnage pouvait vivre une vie
plut?t normale gr?ce ? ses pouvoirs magiques, mais il ?tait plut?t rare
que le SHAGA ne donne de telles facult?s aux patients infect?s. Une
douzaine de cas avait ?t?s recens?s au Canada, mais je ne me ber?ais pas
d'illusion. Si je perdais l'usage de mes mains, je serais ? jamais
handicap?.
Je secouai la t?te, il fallait que je trouve un moyen de me changer les
id?es. Le C?GEP ?tait ferm? pour le weekend et je ne voulais pas
appeler mes parents pour me confier ? eux. D'une part, ils n'auraient
probablement pas reconnu ma voix et, d'autre part, je ne m'imaginais pas
leur annoncer que leur fils se transformait en Twilight Sparkle. Pas
tout de suite, du moins.
Je tentai de me lever, mais mon pied glissa et je me retrouvai allong?
sur le sol, le nez dans mon soutien-gorge qui se pr?lassait pr?s de la
salle de bain. Apr?s quelques jurons bien plac?s, je me relevai
finalement en regardant ce v?tement d?laiss?. C'?tait un vrais
gaspillage de l'avoir achet? celui-l?. En ? peine deux jours, j'avais
perdu tout ce qui me restait de ma stature et mes seins avaient gagn? au
moins une taille de bonnet, peut-?tre plus. Il faut pr?ciser que le
jour o? l'on se retrouve avec de tels appendices, ceux-ci semblent
toujours plus gros qu'ils ne le sont, tout particuli?rement quand on
avait l'habitude de se d?crire comme un gar?on.
Plus par curiosit? que par n?cessit?, je l'enfilai pour me rendre compte
que mon diagnostique ?tait peut-?tre un peu exag?r?. D'accord, les
bretelles restaient un peu trop l?ches, mais les bonnets m'allaient
quand m?me plut?t bien. Visiblement, la situation ?tait encore en
pleine ?volution, mais il n'?tait pas encore tout ? fait bon ? jeter.
Cela dit, encore un jour ou deux et il ne me serait probablement plus
d'aucune utilit?. J'?tais donc m?re pour une nouvelle s?ance de
shopping en r?gle. Bien que l'id?e de faire du l?che vitrine ne
m'attirait pas particuli?rement, je dois avouer que la possibilit? de
croiser Florence ne me laissait pas totalement indiff?rent. Elle ?tait
plut?t gentille et, avec un peu de chance, le fait de me confier ? elle
me changerait peut-?tre un peu les id?es.
Je finis donc de m'habiller, confirmant du m?me coup que mes v?tements
?taient tous devenus beaucoup trop grands.
- Au moins, soupirais-je, je ne ferai pas ?a pour rien!
Le centre commercial ?tait bond?. Bien que j?aie pris soins de me raser
de la t?te aux pieds pour ne pas trop attirer l'attention, j'avais
l'impression que tout le monde me d?visageait. Il faut dire que ma
corne, malgr? ses trois centim?tres bien compt?s (j'avais fini par faire
mon rapport avant de partir), semblait avoir la facult? de magn?tiser
les regards.
Ce n'est qu'apr?s cinq minutes, soit environ une douzaine de chute, que
je finis par atteindre le rayon de lingerie o? Florence travaillait.
L'endroit semblait un peu plus calme que le reste du magasin, si bien
que je retrouvai la jeune vendeuse cach?e dans un coin, le nez dans un
bouquin. Je m'approchai, sans bruit, n'osant pas la d?ranger.
Je toussotai timidement.
Elle leva les yeux, puis, surprise se leva d'un bon.
- D?sol?e, je peux vous aider?
- Oui... Euh... C'est moi!
Elle me d?visagea un instant puis haussa les ?paules.
- Twi... Euh...
Je r?fl?chis quelques secondes et repris.
- Alex.
En entendant ce nom, ses yeux devinrent ronds comme des pi?ces de
monnaie et elle me regarda de la t?te aux pieds.
- Alex? Tu as chang?! Je ne t'aurais jamais reconnu! Il faut ? tout
prix faire quelque chose pour tes v?tements!
Alors que j'?tais dans la cabine d'essayage, la jeune vendeuse faisait
les cent pas, ramenant p?riodiquement un nouveau v?tement qu'elle
voulait me faire essayer.
- Estimes-toi chanceux, ricana Florence en me tendant un nouveau
soutien-gorge par-dessus la porte de la cabine d'essayage. Tu aurais pu
?tre enferm? avec un tas de poup?e Barbie!
- Je doute qu'on vende ce genre de trucs chez Brault et Martineau!
Comment on met ce truc?
- Commences avec les bretelles! Au fait, c'est un 32B! Tu veux
vraiment que je t'appelle Twilight?
- Non... Mais maintenant, je ne r?agis presque jamais quand on
m'appelle Alex...
- Pas pratique! Est-ce que ?a te fait?
- Le soutien-gorge, ?a va... Mais la jupe, je ne sais pas. C'est peut-
?tre un peu trop t?t pour ?a...
- Laisse-moi voir!
J'h?sitai quelques secondes puis tournai le loquet, j'avan?ai, pieds nus
avec une jupe qui cachait tout juste ce qui restait de ma masculinit?.
D?j?, une l?g?re repousse donnait une vague couleur violette ? mes
jambes.
- Dommage que ta fourrure repousse si vite!
Je hochai la t?te!
- Je crois que je pr?f?rerais quelque chose d'un peu moins r?v?lateur
pour l'instant. Tu aurais des pantalons?
- Si tu incites!
Elle me ramena un jeans et un pantalon propre et une jupe un peu plus
longue cette fois-ci.
- Pourquoi tu veux ? tout prix que je mette une jupe?
- Comme je t'ai dit, ma cousine est pass?e par l?!
- Et alors?
- Tant que ton corps change, tu dois changer souvent de v?tements. Une
jupe, ?a te dure beaucoup plus longtemps que des pantalons!
- Si j'en prends une, tu vas me laisser tranquille?
Elle hocha la t?te, satisfaite.
Une fois la s?ance d'essayage termin?, je me suis donc retrouv? avec une
paire de jeans, une jupe, deux hauts assortis et quelques bas longs pour
cacher ma fourrure. En ce qui me concerne, j'?tais pratiquement certain
qu'elle finirait par passer entre les mailles de mes chaussettes, mais
?a ne co?tait pas grand-chose d'essayer. C?t? sous-v?tements, je me
suis pris trois soutien-gorge de taille diff?rentes, histoire de ne pas
?tre mal pris au courant des prochain jours.
Dans l'ensemble, ma s?ance de shopping ?tait une r?ussite. Florence
m'avait m?me donn? son num?ro, au cas o? j'avais de besoins d'une amie ?
qui parler. R?veur, je ne pouvais m'emp?cher de penser qu'? une ?poque,
j'aurais saut? de joie d'obtenir ce genre de faveur aussi facilement.
Pour l'instant, je me disais que c'?tait toujours agr?able d'avoir une
nouvelle amie, mais je n'avais aucune arri?re-pens?e. Disons que
j'avais autre chose qui occupait.
Alors que je laissais mon esprit vagabonder, Je m'assis au bord d'une
fontaine pour offrir un instant de r?pit ? mon dos et mes pieds qui, ?
nouveau coinc?s dans des souliers trop courts, avaient recommenc? ? me
faire souffrir. Alors que je regardais mon reflet dans l'eau
turbulente, j'entendis un groupe de gar?on parler de la jolie fille pr?s
de la fontaine. Mine de rien, je regardai autours de moi et, malgr? la
densit? de la foule, j'?tais probablement la seule personne qui
correspondait ? cette description. Je souris int?rieurement :
j'imaginais leur r?action s'ils savaient que je n'?tais pas une fille...
Enfin, pas tout ? fait... D'un autre c?t?, je ne pouvais m'emp?cher
d'?tre un peu flatt? par leur attention. Junior sursauta, me ramenant ?
la r?alit?. Ces pens?es ?taient ridicules. J'?tais un gar?on, je
n'avais aucune raison d'?tre flatt? ou m?me excit? par cette situation.
Je ramassai mes achat et partis. Un des gar?ons me suivit, mais je
finis par m'en d?barrasser en le laissant me rattraper et en me
retournant pour lui montrer ma corne. Mine de rien, il continua son
chemin, comme s'il esp?rait que je n'avais entendu ce qu'ils avaient dit
? mon sujet : je suis jolie me r?p?tais-je.
Cette phrase r?sonnait encore dans ma t?te une fois de retour chez moi.
R?veur, je me rendis dans ma salle demain et me regardai dans le miroir.
J'?tais pratiquement pareille qu'au moment o? j'avais rempli mon
rapport, hormis peut-?tre mon visage. Mon nez s'?tait un peu retrouss?
et mes oreilles s'?taient un peu allong?es. En y portant attention, ma
silhouette aussi avait beaucoup chang? au cours des derniers jours. Mes
formes ind?niablement f?minines arrivaient m?me ? attirer le regard des
gar?ons. Comment avais-je pu passer ? c?t? de ?a? Je retirai mes
v?tements. C'est vrai, je pouvais ?tre d?crit comme une jolie fille,
mais mon minuscule ami, bien cach? dans son cale?on, ne r?agissait pas ?
la vue de ce corps de femme ? moiti? d?nud?. Cependant, le simple fait
de repenser ? ce qui s'?tait pass? au centre commercial me rendait aussi
r?veur qu'une ?coli?re.
Apr?s de longues minutes d'h?sitations, je finis par retirer mon cale?on
pour voir ce qui ne se passait et puis plus rien. Seulement un repli de
peau mal ras? qui semblait plut?t m?content d'?tre l?. Je m'approchai
du miroir et y enfon?ai un doigt pour y retrouv? Junior qui, toujours l?
semblait se pr?parer pour ses nouvelles fonctions. J'?tais encore loin
d'?tre une fille ? ce niveau, mais, disons qu'ext?rieurement, rien ne
permettait plus de m'en diff?rencier. Alex ?tait mort, j'?tais
Twilight.
CHAPITRE 6
J?aurais mieux fait d?apprendre ? coudre...
Il devait ?tre environ trois heures du matin quand je fus r?veill? par
une douleur d?chirante au bas du dos. Je tentai de me lever, mais
c'?tait inutile, la douleur ?tait trop forte. ? quatre pattes, je
m'extirpai de mon lit pour me rendre jusqu'? la salle de bain pour voir
ce qui se passait.
Pendant vingt minutes, je tentai d'atteindre l'interrupteur pour faire
la lumi?re l?-dessus, mais chaque fois que je tentais de me redresser
moindrement, un coup de couteau me traversait toute la colonne
vert?brale, comme si on tentait de me la retirer de force. Encore entre
le sommeil et l'?veil, mon esprit embrum? tentait en vain de donner un
sens ? la situation. Je restai allong? comme ?a pr?s d'une heure devant
ma douche avant qu'enfin, la douleur ne se calme un peu. Profitant de
cet instant de r?pit, je pris appuis contre le mur et, r?ussis enfin ?
actionner l'interrupteur.
Il me fallut quelques secondes de plus pour r?ussir ? me contorsionner
suffisamment pour voir ce qui m'arrivait. Je soulevai ma chemise de
nuit et je sentis quelque chose bouger dans mon pantalon de pyjama.
Incr?dule, je baissai mon pantalon pour apercevoir une queue
presqu'imberbe qui fr?tillait derri?re moi. Elle mesurait une trentaine
de centim?tre et quelques poils ?pars la d?coraient d?j?, pr?sage de son
apparence future. Je me laissai tomber par terre. J'imagine que
n'importe qui aurait paniqu? suite ? une telle d?couverte, mais la
douleur m'avait tellement ext?nu?e que j'?tais seulement soulag?e que ?a
soit termin?. Encore toute titubante, je me rendis dans la cuisine o?
je trouvai une paire de ciseaux, je d?coupai un trou dans mes cale?ons
et dans mon bas de pyjama, puis je retournai dormir.
Je dormis jusqu'? dix heures ce matin-l?, d?j? consciente que mon
rapport serait particuli?rement ?trange ce matin-l?.
Devant mon bon vieux miroir, j'?tais presque d??ue de voir que mes seins
n'avait pratiquement pas grossis : ils semblaient se stabiliser autour
de la taille B, me laissant avec deux soutien-gorge de taille C
probablement totalement inutiles. Au cours de la nuit, ma queue avait
commenc? ? se garnir du m?me crin bleut? qui constituait ma chevelure
qui, de son c?t?, s'?taient d?cor?s d'une m?che rose au niveau du
toupet. Ce qui avait ?t? ma barbe s'?tendait maintenant jusqu'? mes
paupi?res inf?rieures. M?me un homme n'aurait jamais pu r?ver d'avoir
autant